Ils se tenaient dans deux fauteuils se faisant face. La jeune femme aux cheveux soyeux observait le garçon se tenant devant elle. C'était un gamin de quoi ? Treize ans à peine ? Oui. Oui mais il avait une maturité et une intelligence toutes deux renversantes. La psychiatre n'écoutait pas ses paroles, elle les buvait. La façon avec laquelle il formulait les choses étaient simplement enivrante.

« Nous sommes d'accord, non? Tout ça, ça n'a absolument aucun sens. On est là. Ouais d'accord mais on est là pour quoi? Pour juste vivre comme des cons et attendre? Et finalement crever comme des moins que rien?

-Eh bien... C'est une façon assez pessimiste de voir les choses. D'ailleurs, il me semble que vous êtes un peu jeune pour vous attarder sur des sujets tels quels.

-Et alors ? Je suis simplement réaliste, c'est tout. Ne sont-ils pas méprisables, tous ces Humains ? Toujours à se plaindre, à se croire malheureux alors qu'ils sont plus heureux que quiconque. Je les hais. Ils veulent crever ? Ils n'ont qu'à crever ! Mais la mort est beaucoup trop douce pour ces empotés.

-Vous seriez prêt à leur faire du mal ?

-Non. Jamais je ne me salirai les mains de leur sang impur. Ils se débrouillent très bien seuls pour se faire du mal, je n'ai qu'à les regarder souffrir et me délecter du spectacle. Mais au fond, tout ça n'existe pas, rien n'existe.

-Vraiment... ? Vous considérez-vous comme un Nihiliste ?

-Nous sommes les seuls à posséder le savoir, même s'il n'existe pas, même si rien n'a de sens et que rien n'existe. Alors, oui, je me considère comme tel. »

Qualifiez-moi d’égoïste, d'égocentrique, d'insensible, de tout ce que vous voulez, ça n'a aucune importance pour moi. Ce n'est pas comme si j'étais capable de vous accorder de l'importance. Vous n'existez pas au fond, moi non plus d'ailleurs. Je ne fais pas partie des crétins qui se forcent à sourire pour autrui. A quoi bon ? L’humanité est affreuse, elle vous trahira, vous blessera alors autant ne pas vous emmerder à leur faire plaisir, à eux, à cette bande d'enfoirés. Je les déteste. Au moins autant que je voudrais crever. Je n'aime pas la vie, je n'aime pas les Humains, mais mis à part ça, j'aime presque tout.

Je déteste mon corps. Il a tendance à attirer les autres, c'est chiant parce-que moi, je les aime pas. Ils croient pouvoir me changer, me faire croire en un tas de conneries mais c'est inutile, je les hais. Les filles essaient de petites approches en ébouriffant mes cheveux de jais, en me complimentant sur mes goûts, sur le chouette rouge que j'ai choisi pour mes mèches. Les gars croient me toucher en plongeant leur regard dans le mien, en me faisant remarquer leur étonnante et superbe couleur émeraude. On croit me faire plaisir quand on me dit que ma ligne de sourcil est parfaite est qu'elle s'accorde bien avec mon regard dur dont la couleur est elle si chaude et réconfortante. Les collégiennes vantent mon visage de poupée, mon visage aux traits peu marqué, mon nez étonnamment beau pour celui d'un garçon, mes lèvres épaisses qui sont pourtant sensuelles. Les lycéennes, elles, préfèrent s'attaquer au reste de mon anatomie. Pourtant, je n'ai rien d'exceptionnel, je suis grand, ouais, vraiment élancé et mince. Une sorte de grande perche avec une légère musculature mais rien d'exagéré. Elles me rabâchent que mes bras ne sont pas faits pour protéger, pour se battre, mais simplement pour prendre soin, pour être délicat. Elles ont tort. Vu comme ça, on ne dirait peut-être pas mais, je me bats bien voire extrêmement bien. Même si, je préfère ne pas le faire. N'est-il pas mieux d'assaillir les gens avec des paroles ? Il n'y a que ça qui les blesse réellement, c'est ce que je préfère.

J'ai grandi avec mes deux parents, je n'ai jamais manqué de rien, sauf peut-être d'amour. Ou du moins, c'est ce que je me laissais croire. Mon père était un homme politique, c'était quelque chose d'assez lourd. Il fallait toujours que j'adopte un comportement exemplaire, histoire de ne pas tâcher la réputation de la famille. Langage correct pour ne pas dire soutenu, mots de vocabulaire recherchés, de belles mises en forme, jolies métaphores. Style vestimentaire BCBG. Coiffure et façon de s'habiller empruntées aux Beatles afin de démontrer que je suis le digne héritier de la famille, que je suis parfait. Que j'ai un physique exceptionnelle, une fibre artistique encore jamais vue, une façon de penser à part... J'enfilais un costume, je rentrais dans la peau d'un autre. Pourtant, j'étais déjà tout ça, j'étais déjà exceptionnel et finalement, c'était ça le problème. Ils voulaient que je sois banal en fin de compte ou du moins, que j'incarne le stéréotype de l'homme parfait. J'aurais apprécié pouvoir vivre comme tous les autres. Sauter sur le dos de mon géniteur avec un rire enfantin, aller au parc avec ma génitrice, ce genre de conneries. Et puis un jour j'en ai tout simplement eu marre de tout ça. Et j'ai pourri à fond cette précieuse image. Et bien comme il faut. J'entamais des relations de courte durée et affichais mes conquêtes les plus vulgaires, prenais des cuites et me donnais en spectacle et puis finalement, j'ai fini par utiliser la méthode la plus radicale : la drogue.

J'ai tout laissé derrière et moi et me suis enfermé dans ce monde des plus morbides et désolants. Ce fut l'enfer. J'en aurais regretté mon masque de gamin pourri gâté et bien élevé. Tout était bon pour se procurer de la drogue. Frapper, agresser et se prostituer. On dirait pas mais il y en a pas mal des hommes prêts à payer pour d'autres hommes. En général, ils étaient plus âgés. J'ai accepté d'être souillé en échange de drogue. J'ai tout accepté. Je me suis détruis. C'est paradoxal, non ? Puisque de toute façon... Je n'existe pas, rien de tout ça n'existe.

Si aujourd'hui je m'installe dans cette ville et que j'accepte de me rendre au lycée, c'est pour une seule raison. Un garçon. C'est le genre de cas désespéré qui m'intéresse. Je l'ai connu durant cette période sombre. Ander, c'est son prénom. Je l'aimais beaucoup, même si c'était un junkie, il arrivait à partager ses doses et à courir des risques pour moi. Pour ma consommation personnelle. On était toujours fourrés ensemble et pourtant, on était différents. On faisait la manche ensemble, on dormait dans les parkings souterrain ensemble, on se coller l'un contre l'autre l'hiver pour éviter de crever. On se sacrifiait l'un pour l'autre. Quand j'étais avec un client, Ander attendait dehors pour intervenir si les choses se passaient mal et je faisais de même lorsque c'était lui qui avait des clients. Au fond, on étaient dégoûtés de soi-même et de l'autre.  

Et puis, on a fini par se tirer de cette galère, grâce à son père biologique. Il nous a envoyé dans une clinique de désintoxication. J'ai failli replonger à plusieurs reprises mais en voyant la motivation de mon ami, je parvenais à ne pas rechuter. Aujourd'hui, je n'ai aucun but, je n'en ai jamais eu aucun. Mon seul loisir est tout simplement de l'observer, lui, ce fameux ami. C'est un de ces garçons bizarres que je ne comprends pas. Enfin, c'est plus de la fascination que de l’incompréhension en réalité.