C'était une après-midi comme les autres. C'était un jeudi en fait. Et les jeudis, je me rendais chez ma psychologue. Enfin, ça je venais de le faire et le bilan qu'elle m'avait sorti n'était apparemment pas vraiment meilleur qu'à l'habitude. Bon, il y avait cependant bien un point que j'avais, d'après ses dires, amélioré en quelques sortes. En disant ce que je ressentais vis-à-vis de ma sœur à mes élèves qui étaient avant tout mes amis, j'avais franchi un cap. Celui d'accepter plus ou moins mes sentiments. Celui de me faire à l'idée que je n'étais pas le pire monstre de mon espèce.

Bref, une journée des plus ordinaires, une journée où je pouvais contempler comme d'habitude la connerie grandissante de l'Homme. Ouais c'était juste... un jeudi. Je ne savais pas trop quoi faire pour me débarrasser un peu de la routine puis finalement, je décidai d'aller faire un tour en ville. Rien de meilleur que l'air ulra-pollué du centre ville pour une personne aux poumons défectueux comme moi. J'avais hâte d'y être, hâte de tousser, hâte de souffrir, hâte de dormir.

Une fois en plein centre ville, j'étais bien incapable de choisir une occupation. En passant devant le cinéma, me vînt l'idée d'aller y faire un tour, de me détendre un peu quoi. Je lis les titres des derniers films sortis avec attention et ne fus pas vraiment satisfait. Des films aux noms qui inspiraient aux mélodrames, aux sentiments en fait. Et, plus précisément à l'amour, c'est là que j'eus une illumination. Pourquoi ne pas aller me payer une connerie du genre pour me taper des fous rire tout seul comme un con et par la même occasion, en profiter pour me foutre de la gueule des gens?

J'avançais donc dans le cinéma, me prenant une place et m'achetant des popcorns. Une fois ça de fait, j'allais dans la salle dans laquelle se déroulait le film que j'avais choisi. M'installant sur un fauteuil bien au devant, je commençai à dévorer quelques friandises que j'avais acheté. Oh pas des bonbons, non, j'étais végétarien après tout. C'est donc en me gavant de cochonneries que je fixais l'écran avec attention, attendant non impatiemment le début du film ou plutôt de la daube pour laquelle j'avais payé.

Les premières images apparurent enfin, et il avait suffi que je visionne ces quelques images pour avoir une soudaine envie de vomir. De la daube. Ridicule. Incitation à la consommation d'alcool, de drogue... Bref, vive les films.

Une histoire d'amour dont la fin était plus que prévisible. C'était nul à un point que ça aurait tué l'industrie du cinéma. J'étais simplement révolté, indigné... Oui indigné par les sujets médiocres abordés par les scénaristes. Dégouté que l'on puisse accorder autant d'importance à un sentiment qui n'est pourtant qu'une question d'alchimie. Répugné par le fait qu'à côté de ça, on ne sensibilisait pas les jeunes à des sujets beaucoup plus graves. Voilà le monde dans lequel je survivais, un monde sans grande importance, un monde dont j'avais honte.

Agacé, je finis par éclater. Je me mis alors à râler, pas à crier mais à ronchonner assez fort pour qu'une grande partie des personnes qui peuplaient la salle aient le plaisir de m'entendre:

"Franchement, c'est de la grosse daube! Où est l'intérêt de se pourrir les neurones avec un truc pareil? Tout le monde sait qu'elle va finir avec le brun parce-que le blond s'est tiré et qu'elle se sent en manque d'amour."

Je mangeais bruyamment, je gigotais dans tous les sens, je soupirais à plusieurs reprises... Ce genre de choses quoi. Finalement je sentis une main se poser sur mon épaule, je vis alors un visage qui m'était inconnu mais dont les vêtements ne m'étaient pas complètement étrangers. Bref, un gars de la sécurité. Il me fixait avec un air dur, j'aimais pas ça alors je lui sortis mon regard le plus méprisant qui soit. L'effet produit fut qu'il me prit par le col de ma veste en m'expliquant les règles du comportement à adopter en présence d'autres personnes. Je me contentai de lui tirer la langue avec neutralité, chose qui l'agaça encore plus. Il me traina donc le long de l'allée qui passait entre les sièges. C'était marrant, ça glissait, tout le monde pouvait contemplait mon intrépidité et moi, je prenais un malin plaisir à balancer du popcorn sur les gens. A la base, j'étais un bon samaritain qui plaidait pour les respect d'autrui. Mais eux, ils étaient tous pareils. Des personnes se croyant les plus malheureuses du monde à cause d'un amour non partagé. Du coup, pour se réconforter ils venaient regarder cette connerie. Ouaip, je pouvais pas les encadrer alors, je leur envoyais du popcorn à la figure.

"Bande de nouiiiillles!"

Je continuais de leur balancer des mots doux façon fruits et légumes quand j'entendis une personne s'adresser à moi d'une façon assez singulière...d'une façon qui ne m'était pas inconnue à vrai dire. Je tournai alors la tête en direction de la voix en haussant les sourcils. Ah quelle bonne surprise! Un visage familier! Une personne que j'appréciais, ça faisait plaisir! Certes, glisser le long de l'allée, tiré par un inconnu, était horriblement amusant mais le faire à deux l'était encore plus...


"Huguette est la voix de la sagesse, elle me le pardonnera! Par contre, si tu passes une heure devant ce film médiocre sans t'amuser un peu, elle t'en voudra petite merveiiille! Puis tu sais, le pop corn dans les cheveux ça te donne un petit côté rebelle!"


M'exclamai-je avec mon habituel sourire un peu trop stupide sur les bords. Je poussai doucement le gars de la sécurité en continuant de sourire et m'emparai finalement de la main de Roxie pour la faire venir vers moi et lui chuchoter:


"Le premier qui arrive en bas a gagné!"

C'était donc avec un élan de petit vieux surhumain que je m'élançais le long de l'allée, et ce, tout en m'amusant à jeter des pop corns comme des confettis. Certains devaient penser que j'étais mentalement fragile, déséquilibré, taré, d'autres que j'étais un assisté social qui n'avait rien à faire de sa vie. Eh bien, je m'en fichais assez en fait. Je vivais ma vie, et c'était tout. J'aimais ça, faire ce qu'il me passait par la tête, ne vivre que pour moi finalement... Une fois tout en bas, je pu admirer le gars de la sécurité s'élancer vers nous avec une classe qui lui était bien singulière si l'on peut le dire. Car en effet, ce dernier ne l'avait pas remarqué mais il y avait plus dangereux que moi, il y avait les adolescents en pleines puberté et complètement ignares qui s'amusaient à lui faire des croches-pattes. Je devais lui reconnaître un certain talent pour ce qui était d'esquiver leurs attaques meurtrières mais au bout d'un moment, il finit quand même par s'en prendre un. Et paf. Le sol en pleine poire. Je ne l'enviais pas. Ce devait être douloureux. Humiliant. Etc.


Ma maturité ne volait peut-être pas haut mais il me restait tout de même une part d'Humanité: mon empathie. Je m'avançais vers lui avec une once d'inquiétude et l'aidais à se relever avant de me tourner vers la bande de jeunes qui riaient aux éclats.


"Le pop corn n'est pas considéré comme meurtrier mais provoquer la chute d'une personne, l'est. Allez, les jeunes, debout, excusez-vous."


Eh oui, même si j'avais embêté ce cher monsieur, que je lui avais paru d'une immaturité vomissante, je donnais encore des leçons. A vrai dire, il ne me semblait pas avoir été totalement incorrect avec lui puisque je ne lui avais pas causé de bobos et que je ne m'étais pas moqué d'une quelconque chute après quoi. Ces adolescents n'avaient pas agis de la même façon, ils n'avaient pas protesté contre la nullité du film ou n'avaient pas profité de leur vie en faisant les guignoles. Non, eux, ils avaient voulu nuire à autrui, ils avaient fait du mal et avaient ri. Je me permettais donc de leur inculquer quelques valeurs existentielles. Et une fois de plus, ils avaient ri, je constatai donc que j'avais une tête de débile hilarante. C'était... Vexant. Mais je remettais bien vite mon égo sur pieds et aidai l'homme à se relever. Apparemment, ça avait l'air d'aller.

"Bon si ça va, c'est tout ce qui compte. Je suis désolé d'avoir joué les idiots, je m'excuse, et en fait, la seule excuse plus ou moins bidon que j'ai est que, d'après ma psy, j'ai des troubles psychiques conséquents. "


Je haussai les épaules avec un léger sourire et lui donnai quelques billets pour qu'il rattrape sa journée du mieux qu'il le pouvait. Après quoi, je fis signe à Roxie de me suivre, m'élançant à nouveau dans les escaliers. Bon, mon amie ferait une super montée tirée par le col dans les escaliers une autre fois!


Une fois à l'extérieur du cinéma, je mis mes main dans les poches de mon pantalon, comme d'habitude à vrai dire... Après quelques minutes de marche, je tournai la tête vers Roxie et demandai avec un large sourire:


"Alors tu vas bien? Tu profites bien de la vie?"