Lucrezia, c'est physiquement une petite fleur. Très petite, même. Sa taille n'excède pas le mètre cinquante-deux, malgré son âge avancé, et elle est aussi menue qu'une petite souris. Son visage angélique, aux traits harmonieux, ses grands yeux verts, ses cheveux coupés en un carré assez désordonné, teint en vert lui aussi, tout cela ne donne pas du tout raison à son véritable âge. Car, après tout, elle a tout de même dix-sept. Hélas, elle a beau être très féminine, elle ne possède guère de formes. Fine, quoi qu'un peu musclée, elle a une démarche gracile, presque féline, délicate, comme si elle avait peur de se casser en deux à chaque pas. Elle porte souvent des shots, des jupes, qui laissent ses jambes à la peau d'ivoire nues - ou alors elle met des bas de laine à rayures, très à la mode. A la mode pour elle, sous-entendu.

Elle aime les couleurs, notamment le vert, le rose, le bleu, le jaune. Des couleurs joyeuses, des couleurs qui mettent en avant sa peau d'albâtre et ses grands yeux en amande. Quand on observe plus curieusement son visage, on remarque des fossettes à ses joues, là où elle sourit. On peut voir aussi les longs cils plus sombres, qui semblent ombrager ses joues d'arabesques ténébreuses. Lucrezia, elle est jolie. Elle ressemble à une souris, ou à une pâquerette, et son apparence fragile, ça donne envie de la protéger. Elle rougit très facilement, ce qui fait ressortir son teint d'ivoire, et elle est tout le temps ébouriffée, comme si elle venait de courir un cent mètres. Il y a quelque chose d'assez délicat chez elle, et en même temps de combattif. Elle a l'air adorable, même quand elle gonfle les joues en boudant, un peu gamine.

A monkey on the wall ♪

Ce petit singe qui grimpe, là, aux arbres, en criant et en crapahutant comme un sagouin, c'est toi. Lucrezia de ton prénom. Ca te vient de tes origines italiennes si tu veux tout savoir, du latin même. Comment ça, ça ne t'intéresses pas ? Sale gamine. Trop occupée à aller embêter les nids d'oiseaux. T'as toujours été comme ça : t'étais pas embêtante, comme bébé, mais dès que t'as su marcher, fallait que tu grimpes partout. Un brin hyperactive, non ? Dans le genre énervante, qui épuise le monde autour d'elle. M'enfin, quand tu es dans la nature, tu souris. Et ça, c'est beau. Alors on te laisse faire. Surtout tes parents. Paris, c'est une grande ville, après tout, mais t'as un jardin à toi. T'as même un chien. Un chiot. Histoire que tu grandisses avec une bestiole à poil et à truffe humide. Paraît que c'est bon pour l'humanité du gamin, tout ça.

Mais toi, ton humanité, tu la trouves dans les plantes. T'aimes ça : médicinales ou juste en décoration, tu sais toujours trouver ce que tu veux. T'es proche de la nature, en un sens ; t'aimes pas trop les autres gens, tu te méfies d'eux. Tu as peur qu'ils te fassent du mal, alors tu fuis. T'aimes pas ça, mais tu fuis souvent. Les gosses qui t'embêtent à la récré, ta maîtresse quand elle veut te parler, tes parents, les disputes. Les arbres, les buissons sont ton refuge le plus sûr. Epine, ton chien, est ton confident le plus doux. Le caresser te fait du bien.

De toute façon, Paris n'est pas une ville pour les enfants. Voilà ce que tes parents t'ont dit quand vous avez déménagé. T'avais quoi, huit ans ? Tu t'en souviens un peu, mais t'y faisais pas attention à l'époque, trop étonnée et surprise par la tournure des évènements. Tu préférais aller rire en regardant ton père bouger le fauteuil dans le gros camion et jouer avec le monte-charge que te mettre face à la réalité, songer au fait que cette maison où t'avais toujours vécu, tu la verrais plus. Finalement quand tu t'en rends compte, c'est trop tard ; c'est souvent comme ça, habitue-toi.

Votre nouvelle maison est plus grande. Papa et maman ont ouvert une épicerie, et dès le départ, ça marche. Ca fonctionne, pas comme sur des roulettes, mais comme si y'avait eu des chiens de traîneau. Ca va pas vite, mais c'est régulier, c'est déjà ça. L'école, en attendant, t'y as de bonnes notes, mais pas trop non plus. Dès que tu peux, tu vas fouiller dans les forêts alentours avec ton chien. Epine adore chasser les écureuils, et toi, grimper aux arbres, ça t'as toujours amusé. Même quand t'as eu dix, puis onze ans. Tu passes le collège, et tu deviens une femme. Fini, les vêtements de garçon, les sorties seule avec ton chien. Tu es une femme, maintenant. Ca change tout. Tu sais pas quoi, mais tu ne peux plus aller te promener. C'est indécent. Un mot grossier, dans ta tête. Toi, tu voudrais toujours aller courir en short et en top, dans le jardin, et aller nager toute nue dans le lac, près de la cascade. Mais non, ça ne se fait pas.

Il y a beaucoup de choses qui ne se font pas, tu apprendras. En attendant, le temps passe. Tes parents divorcent ; tu restes avec ta mère. Pas par choix, mais parce que c'est sûrement le mieux à faire. Tu as un petit endroit à toi : une vieille cabane abandonnée. T'y as trouvé une guitare sale, au manche à moitié pourri. Tu le répares, avec ce que tu trouves, ce que tu glanes. T'arrive à en sortir quelques notes, et t'apprends. Seule, avec l'aide de ton ordinateur, des fois. T'aimes ça, la musique. Ta curiosité te pousses à chercher de nouveaux groupes, de nouveaux morceaux. Tu sens que c'est comme pour les fleurs, les plantes : t'as ça dans le sang. Tu délaisses un peu les cours ; ça ne t'intéresses pas plus que ça. Tu as du mal à te faire des amis : t'es trop timide, et quand les gens découvrent ton caractère bien trempé, ils ont pas envie de devenir amis avec toi. Tu t'en fiches - enfin, t'aimerais bien. Disons que t'ignores le mal que ça te fait.

Puis, l'âge de déraison. Tu te peints les cheveux en vert, tu t'habilles comme tu veux, tu deviens un peu plus indépendante, un peu plus folle. T'entre au lycée. T'y fais quelques connaissances. T'essayes de fumer, t'aimes pas ça. T'essayes de boire, et c'est pas trop mal. Mais pas trop souvent. Tu préfères quand même les jus de fruit, navrée pour la côte de popularité. T'apprends à te faire des amis ; t'apprends que l'humanité c'est pas si mal que ça. Reste à voir quelles aventures t'y attendent, petite verte.