Quand j'étais petite, on me disait toujours de regarder devant moi quand je marchais. Je le faisais, c'était normal mais au fur et à mesure que je grandissais, je ne regardais plus. Ou alors j'avais les yeux rivés sur l'écran de mon téléphone ou alors j'écrivais en même temps, passant pour une extraterrestre aux yeux des autres. Je devrais pourtant, regarder où je pose les pieds. Au lieu de marcher dans les allés vide du parc en écrivant sur mon cahier, je devrais regarder devant moi. Mais non. J'étais inspirée et j'avais envie de tout noter avant que ça ne disparaisse de ma tête. Je ne vis pas ce qu'il y avait devant moi. Mon pied buta dans quelques chose, je trébuchais et m'étalais lamentablement sur le sol. Mon cahier glissa au loin.

- C'est pas vrai ...

Cette journée avait déjà mal commencé mais il fallait en plus que ça continue sur la même voix. Bien sur pourquoi changer hein ? Je soupirais et m'assit en frottant mes mains endoloris l'une contre l'autre. Mon stylo n'était pas tombé. Je le ramassais et le rangeais dans ma poche avant de regarder autour de moi dans l'espoir que le parc soit totalement vide et que personne ne m'ait vu m'écraser sur le sol.

Quelqu'un s'approcha de moi. C'était un garçon qui ne devait pas être beaucoup plus grand que moi.

- ça va ?

- Oui je pense que ça devrait aller.

Je lui souris mais vit que lui n'avait aucune expression, comme s'il ne ressentait rien mais,ce n'était pas possible n'est-ce pas ? Il me tendis mon cahier.

- C'est à toi je crois ...

- Oui merci !

Je saisis mon carnet et l'époussetais en priant pour que les pages ne soient pas abîmées. Le garçon reprit, toujours sans rien exprimer de plus comme sentiments.

- Tu veux que je t'aide à te relever ?

Il me tendis la main. Je la saisis en hochant la tête et me relevais, surprise. Il avait l'air un peu maigrichon et pourtant, il était doté d'une force qu'on aurait jamais cru. Je sentis que ce garçon avait un truc un peu plus spécial qui se cachait sous cette carapace d’indifférence. J'eut un petit rire.

- T'as plus de force que ce que je pensais !  

Son visage me disait vaguement quelque chose. Je l'avais sans doute croisé une ou deux fois au lycée ou dans la ville mais ne l'avais pas observé plus que ça comme j'en avais l'habitude. Il devait être souvent seul dans ce cas là.

- Je m'appelle Sheila et toi ?

Je m'étais spontanément présentée alors que, normalement, ce n'était ce qui me venait naturellement.

On ne pouvait pas dire qu'il était très bavard ... Il devait être timide ce qui pouvait expliquer son manque d'émotions apparent. Peut-être qu'il préférait regarder les gens au lieu de leur parler ?

- C'est un très jolie nom. Moi c'est Haku.

- J'aime bien ce prénom !

Je devais avoir l'air un peu bêta et me sentis rougir. Reportant mon attention sur mon cahier, je le feuilletais rapidement et soupirais de soulagement en voyant qu'aucune page n'avait été abîmé par la poussière et les graviers. Au moins, je n'aurais pas à tout recommencer. Je pensais alors que j'aurais dû emmener un sac pour le mettre dedans ce qui m'aurait éviter de me le trimbaler à la main comme ça. Une question stupide me vint à l'esprit et franchit mes lèvres avant que je puisse la retenir.

- Tu observes beaucoup les autres non ?

Quelle imbécile ... Je pouvais pas me taire non il avait forcément fallu que je l'ouvre. Je saisis une de mes mèches de cheveux et, avant que Haku puisse répondre, je repris ma bourde

- Désolé, c'est sortit tout seul.

Je souris pour dissiper la gêne qui montait peu à peu en moi et expirais doucement pour ne pas rougir. Il allait vraiment falloir que j'apprenne à me taire.

- Ce... Ce n'est pas grave... Ne t'inquiète pas...

Il fixait le sol, le visage soudain rouge de gêne et je m'insultais copieusement. Non mais qu'elle idiote ! Je pouvais pas tenir ma langue plus de deux secondes ! Voilà que j'avais mis mal à l'aise Haku qui semblait déjà timide au premier abord. Je me grattais l'arrière de la tête et soupirais. Au fond, il était un peu comme moi, à regarder le monde vivre.

- Moi aussi j'observes beaucoup les autres. C'est étrange mais leur vies m'inspirent plus que la miennes ... Et les regarder, c'est commencer à les comprendre je trouve.

Et voilà que je recommençais avec ma philosophie. C'était assez étrange. Normalement, je n'étais pas aussi bavarde lors d'une première rencontre mais là, c'était comme si je savais qu'il avait une manière de penser vraiment intéressante au-delà de cette apparence inexpressive. Il avait l'air d'un garçon rêveur. Je souris.

- Tu écris ? Tu chantes ? Tu joues d'un instrument ? Tu fais du théâtre ? Ou bien tu dessine peut-être ?

Dans ma tête, il ressemblait à un artiste, quelqu'un qui rêve. Ce fut seulement après avoir posé ma question que je me rendis compte que c'était en fait une avalanche de point d'interrogation que je venais de déverser sur le pauvre Haku qui n'avait rien demandé à personne. J'allais finir par aller me pendre moi à force de faire toute ces bourdes avec ce jeune homme. Je baissais la tête et fixais le gravier avant de murmurer :

- Excuse moi, je voulais pas te poser autant de question ...

Idiote !! Sentant les larmes monter, je me repris. Ah non ! Il était hors de question que je mette à pleurer en plus de ça ! Mes doigts se resserrèrent autour de mon cahier et je me sentis aller un peu mieux.

J'expirais lentement et relevais les yeux au son de la voix de Haku.

- T'as pas à t'excuser...

Il passa près de moi, prêt à partir.

- Si tu t'excuses tout le temps, ça te jouera des tours.

Je relevais prestement la tête. Il avait raison ... et il partait. Étrangement, mon coeur s'emballa. Non attends ! Ne pars pas pitié ! Qu'est-ce qui me prenait ? Je me tournais vers lui, soudain inquiète. J'avais tellement envie de mieux le connaître mais d'où venait une telle envie ?

- Attends !

Tant pis si j'avais l'air trop familière, trop spontanée où quoi que ce soit d'autre, je ne pouvais pas me contenter d'une seule conversation. Il était bien trop intéressant pour ça ! Il y avait chez lui ce quelque chose d'un peu torturé qui me poussait vers lui. Comme un papillon attiré vers une ampoule, il sait qu'il va se brûler les ailes mais il y va. Je sentais que la conversation avec Haku était compliqué et pourtant je voulais l'engager. Je suis tellement étrange. Et maintenant que je l'avais retenue, qu'allais-je pouvoir lui dire ? Certainement pas des excuses. Je serrais mon cahier de plus en plus fort à tel point qu'une des spirales cassé me rentra dans la main. Je ne sentis pas la douleur, j'étais concentrée sur autre chose.

- Tu as raison Haku ! J'ai tellement peur de ce que les gens pourraient penser de moi que je passe mon temps à m'excuser. Au final, ça fait partie de l'image que je renvoie mais je m'en étais pas rendue compte avant. Alors juste, merci !

Un sourire m'échappa.

Il se rapprocha de moi et saisit ma main. Incrédule, je le regardai faire. Il mit un mouchoir autour de la coupure que je venais de me faire et recula un peu. Toujours avec ce visage sans expression, il me demanda :

- Pourquoi tu veux me retenir ?

Je ne m'attendais pas à ce qu'il pose la question et elle me prit un peu au dépourvue. Je laissais involontairement s'écouler quelques secondes avant de répondre

- Parce que tu es spécial.

Cette réponse était vraiment étrange et je pensais que Haku n'allait pas comprendre où je voulais en venir. Même moi j'avais du mal à savoir pourquoi je venait de dire une telle chose. L'envie de me cacher quelque part grandi en moi mais je restais sur place, regardant le jeune homme et les alentours. C'était assez étrange. Il semblait plus timide que moi et, de ce fait, j'avais l'impression de parler pour ne rien dire, de ne pas l’intéresser alors que lui, il avait su me captiver en à peine quelques mots. Comme quoi, faire des phrases de trois kilomètres de long n'était pas toujours la solution pour intéresser quelqu'un. Et là, je n'avais plus rien à dire, j'avais tout résumée en cinq mots. C'était tellement ironique, moi qui en faisait toujours des tonnes dans mes histoires, je venais de comprendre que ça ne servait à rien.
En à peine dix minutes, Haku venait de me donner deux leçons de vie, preuve qu'il était spécial non ?

Il changea soudainement d'expression.

- Tu n'as pas peur ?

Si ... J'étais terrifiée mais je ne le montrais pas. Je ne savais pas pourquoi. Par instinct peut être ? Haku s'avança vers moi, je reculais et me trouvais soudain bloqué par un arbre. Une flamme étrange dansait dans ses yeux.

- Si tu n'as pas peur de moi, tu sera bientôt terrifiée à l'idée de me recroiser.

Pourquoi étais-je convaincu qu'il n'était pas si mauvais ? Il me prouvait le contraire. J'étais peut être trop utopiste pour croire qu'on ne pouvait pas rester mauvais ? J'étais terrorisée. Mon cahier tomba sur le sol. Je serrais les points et relevais la tête. Regarder ses peurs en face. Troisième leçon de vie.

- Tu vas me faire quoi ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ma voix n'avait pas tremblée. J'aurais dû m'enfuir, j'aurais dû partir mais j'étais paralysée. Était-ce la trouille ? Ou bien quelque chose d'autre qui me poussait à rester ? Et là, les paroles les plus stupides que j'avais jamais prononcés franchirent mes lèvres.

- Quoi que tu fasses, je sais que tu es spécial, tu ne m’enlèvera jamais ça !

D'où me venais cette soudaine audace. Pourquoi étais-je si sûre de moi ?

La lueur étrange dans le regard de Haku sembla disparaître. Intérieurement, je soupirais de soulagement. Il baissa la tête, regardant mon cahier qui était encore tombé au sol. Le jeune homme releva les yeux et me regarda.

-Qu'est ce qui te fait penser ça ?

Je souris. Minute ... Pourquoi je souriais ? Ce n'était pas logique, ce garçon m'effrayait au plus haut point et pourtant je ne montrais rien. Je paraissais tellement sûre de moi alors qu'à l'intérieur, je tremblais comme une feuille. Il était dangereux mais tellement intriguant. Avant même de voir cette facette là de sa personnalité, je savais qu'en essayant de le connaître, j'allais me brûler. Il était comme une petite flamme. On sait qu'on va se faire mal en la touchant mais on essaye quand même pour être sur. C'était ce que je faisais la non ? Je tentais, je voulais découvrir ce qu'il cachait. C'était très présomptueux de ma part sans aucun doute.

- ça se voit. En à peine quelques minutes tu m'as appris trois leçon de vie !

Ses yeux étaient bleu, pourtant ... j'étais sûre qu'ils étaient vert quelques instant plus tôt. Je n'arrivais pas à détacher mon regard de lui alors que normalement, je ne regardais jamais les gens dans les yeux.

-Pourquoi tu n'as pas peur ?

Encore une question me prenant au dépourvue. Je ne savais pas si je devais être honnête ou non. Finalement, vu comme il était, il détecterait le mensonge à des kilomètres à la ronde.

- J'ai peur. Mais, le truc qui me permet de ne pas rester paralyser c'est l'espoir.

J'eut un rire. Ce que je venais de dire semblait tellement enfantin, ça pouvait paraître stupide aux yeux de beaucoup de gens. Je croyais beaucoup de choses, surtout quand les gens me disaient des trucs, je ne méfiais pas, je les croyais. Mais dès qu'il s'agissait de quelque chose touchant la vie en général, je devenait beaucoup moins crédule.

- Je suis pas aussi naïve que j'en ai l'air.

Pourquoi avais-je dit ça ?

Haku se pencha et me rendit mon cahier. Je le saisis. Il avait de nouveau changer d'humeur. Décidément, c'était très rapide avec lui. On ne pouvait pas savoir à qui on avait à faire c'était assez troublant.

- Commence par reprendre ton cahier ...

Il me tourna le dos et commença à partir. Une de ses phrases m'avait interpellé. Il n'avait plus d'espoir, il ne croyait en rien. C'était tellement triste. Je fermais les yeux et enlevais le mouchoir qu'il avait mit autour de ma main. Le sang commença à couler mais tant pis. Je fermais les poings. Mes ongles rentrèrent dans la petite coupure, me firent grimacer de douleur. Je me redressais, m'éloignant de l'arbre et me plantais dans le sol.

- Tant y a de la vie, y a de l'espoir ! Tu la connais cette phrase pas vrai ? Elle est très célèbre. Il y en a tellement qui pense le contraire. On doit faire avec son passé, évoluer avec ou bien tout laisser tomber ! Si tu ne crois plus en rien, si tu n'as plus d'espoir, alors tu es déjà mort !

J'avais parlé d'une voix forte, me faisant sans doute entendre par tout le parc. Et pourtant, je croyais chaque mots que j'avais prononcé. Je n'essayais pas de changer Haku, de le convaincre ou autre chose. De toute façon, je n'aurais jamais pu. Et tant pis s'il se retournait soudainement pour venir m'étrangler, tant pis si je passais pour une fille trop utopiste ou quoi que ce soit tant pis ! Je m'en fichais, je me fichais de tout ce qui pouvait arriver, de tout ce qu'il pouvait me faire !

Soudainement il se tourna vers moi. Je vis quelque chose traverser son regard. C'était tellement rapide, tellement infime que je ne pu le saisir. Pourtant j'avais vu quelque chose passer dans ses yeux qui, étrangement étaient redevenu vert. Etait-ce un changement dû à son humeur ou à la lumière ? C'était impressionnant.

- J'ai encore de l'espoir Sheila... Tu veux savoir ?

Je le fixais.

- Tu veux me le dire ?

J'aurais pu secouer la tête, j'aurais pu m'enfuir, ne plus me soucier de lui et ne plus jamais croiser son regard alors pourquoi restais-je ? Il s'approcha de moi, encore avec cette démarche de chat, silencieux comme eux. Il avait quelque chose de félin, d'animal. A la fois très flippant et très attirant. J'aurais pu ne pas dire ça comme ça. J'aurais pu ne jamais sortir de chez moi. J'aurais pu laisser tomber au moment où il avait voulu partir la première fois. Pourquoi l'avais-je retenu ?

Je sentis mon coeur battre à tout rompre dans ma poitrine et pourtant je restais là. Etais-je à ce point stupide ? Haku sortit un couteau de suisse de sa poche et sortit la lame, le couteau.

- Tu veux savoir Sheila ?

Je fermais les yeux, prit une grande inspiration et les rouvrit, toute trace de peur effacée. Il pointa le couteau dans ma direction, la lame frola ma gorge. Je ne bougeais pas.

- Tu sais, tu n'aurais pas dut me retenir la première fois. Je pourrais te tuer maintenant, je l'ai déjà fait.

Je ne doutais absolument pas de ses paroles alors pourquoi restais-je figée sur place. J'ouvris la bouche, plongeant mon regard dans celui de Haku

- Tue moi.

Mon ton était calme, je n'avais pas peur. La mort ne m'avais jamais intimidée, je savais que la vie était une boucle et si la mienne devait se terminer aujourd'hui, alors j'accepterais. Je devais être devenue folle car je saisis la main du jeune psychopathe et posais la pointe du couteau sur ma gorge. Stupide ou audacieuse ? Je savais qu'il pouvait le faire très aisément alors pourquoi restais-je ? J'étais résignée, calme. Je ne le craignais pas. Qu'il me tue s'il le voulait je me foutais de tout !

Je l'avais mis en colère.

- C'est ça que t'appelle espoir ?

Je ne répondit rien.  Il me donna le couteau.  Je le pris et le jetais avec toute la force dont j'étais capable.  L'instrument tomba dans l'herbe. Je le regardais disparaitre dans la verdure avant de reporter mon attention sur Haku qui se remettais a parler

- Si c'est ça ta belle notion d'espoir, égorge toi toute seule, moi, j'ai pas envie de salir mes mains pour des paroles non mesurées...

Je secouais la tête.  Non je n'ésperais pas mourir ! Je voulais vivre mais je savais que la mort ne m'affectais pas plus que ça. Si Haku devait etre mon bourreau, s'il devait me tuer je le laisserais faire.

- Non tu ne comprends pas. Mon espoir c'est pas ça ! Je sais que la vie c'est une boucle.  On vie pour mourir au final alors qu'est ce que ça change que ce soit aujourd'hui  ou dans 10 ans ? Je crois en quelque chose de bien plus forte que la vie ou la mort ! Moi je crois au pouvoir et a la force des mots ! Je ne vais pas me suicider ! Je ne suis pas aussi egoiste que ça ! Tu voulais me tuer alors fais-le !

J'étais totalement convaincu de ce que je racontais. Il y avait de la force dans les mots je le savais j'y croyais. Mon espoir était qu'un jour quelqu'un le change ce foutu monde ! J'avais des exemples a donner.  S'il en voulait, il allait en avoir ! Mais lui son espoir,  c'était de mourir. Ça venait de me frapper.

- J'avais pas l'intention de te tuer, tu sais ?  

Alors pourquoi m'avoir menacé ? Pour me faire peur ? M'avait-il cru si impressionnable que ça ? Pourquoi n'avait-il pas tranché ma gorge comme il semblait en avoir envie. Je paraissais sans doute timide mais je n'avais pas peur de certaines choses. La faute à l'écriture j'imagine. Il se baissa et ramassa le couteau suisse avant de le ranger dans sa poche.

- Tu es incapable de te salir les mains en tuant quelqu'un, n'est ce pas ?

D'autres auraient écarquillé les yeux en disant qu'ils ne pouvaient pas tuer, ou bien certains, avec un sourire sadique auraient clairement affirmé que c'était naturel pour eux. Moi, je haussai les épaules, comme si parler de meurtre était aussi naturel que parler de la météo ou du déroulement de la journée.

- Je ne sais pas. Je n'y ai jamais pensé.

Je savais que le geste en lui même n'était pas compliqué. C'était après, les retombées sur le mental, la conscience qui se réveillait et tout. Si nous n'avions pas d'âme, nous pourrions nous entre tuer sans problème. Etais-je capable de tuer ? Cette question me terrifiait autant qu'elle me fascinait. Je penchais la tête sur le côté et regardais Haku. J'avais envie de savoir pourquoi il m'avait menacé mais au final, ce n'était pas si important que ça.